Comment tirer le maximum de l’Indice actuariel climatique

Depuis 2016, l’ICA et ses partenaires publient tous les trimestres les données de l’Indice actuariel climatique (IAC) de l’Amérique du Nord. La plus récente version poursuit la tradition. Mais que pouvons‑nous faire avec ces données? Que signifient‑elles? Nous avons rencontré des membres de la Commission de l’ICA sur les changements climatiques et la viabilité (CCCV) pour en apprendre davantage sur l’IAC et pour savoir comment en tirer le meilleur parti.

Qu’est-ce que l’Indice actuariel climatique (IAC)?

Parrainé par l’American Academy of Actuaries, l’Institut canadien des actuaires, la Casualty Actuarial Society et la Society of Actuaries, l’IAC est un outil de suivi conçu pour informer les actuaires, les décideurs et le grand public au sujet des tendances climatiques et de certaines conséquences potentielles d’un climat changeant pour les États‑Unis et le Canada. L’indice mesure la fréquence d’événements météorologiques extrêmes et l’ampleur des variations du niveau de la mer. Voici les six composantes de l’IAC :

  1. Hautes températures;
  2. Basses températures;
  3. Pluies abondantes;
  4. Sécheresses (jours secs consécutifs);
  5. Vents forts;
  6. Niveau de la mer sur la côte.

L’IAC ne fournit pas une mesure directe des températures moyennes ou de l’intensité des précipitations, mais il permet plutôt de suivre l’évolution de la fréquence des événements météorologiques extrêmes (au-dessus du 90centile ou sous le 10e centile). Par exemple, pour les hautes températures, la mesure utilisée est la fréquence des températures supérieures au 90e centile observées durant la période de référence allant de 1961 à 1990. Plus l’IAC est élevé, plus l’occurrence de températures extrêmes est fréquente et moins elle est susceptible d’être attribuable à des écarts statistiques normaux.

Sur quoi porte l’IAC?

Mark Carney a été le premier à proposer une taxonomie des risques climatiques – physique, responsabilité et transition – en septembre 2015 alors qu’il était gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière. Dans le cadre de cette taxonomie, l’IAC met l’accent sur les risques physiques, ceux qui découlent de la fréquence et de la gravité accrues des phénomènes météorologiques extrêmes qui endommagent les biens et perturbent le commerce, mais il exclut les risques de transition (p. ex., ceux liés à la décarbonisation) et les risques de responsabilité (p. ex., ceux liés à des réclamations contre des organisations pour défaut d’atténuer les changements climatiques ou de s’y adapter).

L’IAC est évalué rétrospectivement à partir des données recueillies pour ses six composantes. C’est un complément pour d’autres indicateurs qui mettent l’accent sur les causes et pourraient donc contribuer à une vision prospective. Il s’agit, par exemple, d’estimations de l’écart restant avant d’atteindre  les « +2 degrés Celsius » visés par l’Accord de Paris, des émissions de GES déclarées par pays ou des mesures de la concentration de CO2 dans l’atmosphère publiées par le Scripps Institution of Oceanography.

Comme l’IAC est une mesure de la probabilité d’événements météorologiques extrêmes, il ne peut être converti en degrés de réchauffement, mais pouvons-nous quantifier les probabilités rattachées aux diverses valeurs de l’IAC déclarées?

Pas précisément, puisque nous ne connaissons pas la distribution de probabilité de l’IAC. Toutefois, grâce à la théorie statistique, on peut utiliser le théorème de la limite centrale pour obtenir une approximation en présumant que la distribution des valeurs de l’IAC converge vers la distribution normale (courbe de Bell) à mesure que le nombre de points de données augmente. En effet, l’IAC trimestriel est une moyenne mobile sur 20 trimestres consécutifs, comprenant ainsi 60 valeurs mensuelles, chacune représentant une moyenne de six composantes calculées suivant les lectures quotidiennes effectuées à partir de plus de 300 points de grille dans 12 régions combinées aux États‑Unis et au Canada.

Au cours de la période de trois mois terminée en novembre 2020, l’IAC pour l’Amérique du Nord (États‑Unis et Canada combinés) est passé de 1,24 à 1,22, tandis que l’IAC pour le Canada seulement est demeuré stable à 0,88. Toutefois, cela ne signifie pas que les conséquences des changements climatiques pour le Canada sont estimés à 72 % des valeurs nord-américaines ou que les températures ont atteint un sommet et sont en baisse. L’IAC est une moyenne mobile des fréquences et non une moyenne des températures.

Je suis un peu rouillé en théorie statistique ; pouvez‑vous m’expliquer comment estimer les probabilités de l’IAC?

L’IAC est la moyenne des anomalies pour six composantes exprimées en unités d’écart‑type et normalisées à une moyenne de zéro pour la période de référence comprise entre 1961 et 1990 avec un écart‑type de 1. Par conséquent, son propre écart‑type (désigné par σ) peut être estimé à 1 divisé par √6, soit 0,408.

En divisant 1,22 par 0,408, on obtient une valeur de 2,99, presque 3σ, ce qui est très loin dans la queue de droite. Un tableau de valeurs pour la distribution normale montre que la probabilité d’un résultat supérieur à 3σ n’est que de 0,14 %. Pour 1,24, la probabilité serait réduite à 0,12 %. Dans les deux cas, l’AIC indique qu’il est très peu probable que le régime climatique en vigueur entre 1961 et 1990 puisse produire de tels résultats, ce qui confirme indirectement qu’un changement climatique est plus probable.

Quelle serait la différence pour le Canada seulement?

En utilisant la même méthode, la probabilité d’une valeur de l’IAC supérieure à 0,88 pour le Canada peut être estimée à 1,54 %, ce qui est beaucoup plus élevé, mais tout de même 2,16σ, profondément dans la queue de droite de la distribution. Divers facteurs peuvent expliquer cet IAC plus faible, notamment le fait que le Canada a connu un réchauffement plus tôt que les États‑Unis et que la variabilité accrue a produit un écart‑type plus élevé pendant la période de référence. Comme les anomalies canadiennes étaient divisées par un nombre plus élevé, la normalisation a produit des valeurs d’indice plus faibles. Les valeurs de l’IAC pour différentes périodes peuvent être comparées à l’intérieur d’une région, mais elles ne peuvent être comparées directement entre les régions puisque les unités de base calculées pour la période de référence sont différentes pour chaque région.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de l’IAC jusqu’à présent?

Dans l’ensemble, l’IAC confirme qu’il est très peu probable que les variations de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes puissent être attribuées à la variabilité naturelle des phénomènes météorologiques mesurés au cours de la période de référence 1961‑1990. Selon l’explication la plus probable, la tendance de l’IAC confirme empiriquement que les changements climatiques ont une incidence sur les risques liés au climat (c‑à‑d. les conditions météorologiques extrêmes).

Comment les actuaires devraient‑ils utiliser l’IAC dans leur travail?

L’IAC peut être utilisé par les actuaires dans un contexte éducatif, par exemple lors de présentations au conseil d’administration de sociétés d’assurances, afin de sensibiliser la population à la réalité des changements climatiques et à la nécessité de tenir compte des risques inhérents aux activités de la société.

Lorsque l’ICA a décidé de parrainer le projet de recherche sur l’IAC en 2016, il savait qu’il s’agissait d’un outil éducatif de premier niveau qui finirait par mener à des recherches et à l’élaboration de mesures plus prospectives que les actuaires pourraient utiliser dans leurs travaux de tarification et de provisionnement. Cinq ans plus tard, grâce en partie à l’IAC, de plus en plus d’actuaires sont conscients que les risques liés au climat peuvent avoir une incidence sur les primes, les sinistres ou la solvabilité des régimes de retraite.

La CCCV a récemment publié son Document de référence sur la pratique : Scénario sur les changements climatiques et l’outil Excel connexe pour fournir aux actuaires des considérations pratiques dans l’élaboration d’un scénario climatique et pour développer de meilleures pratiques d’évaluation des risques financiers liés aux changements climatiques au moyen d’une analyse de scénarios climatiques. De plus, la CCCV tient à jour une page de ressources présentant des recherches et des renseignements utiles. Les priorités de la CCCV sont d’effectuer plus de recherche, organiser des activités éducatives et assurer la liaison avec les organismes de réglementation afin d’aider les actuaires à servir le public.