Pour la plupart des actuaires, la gestion du risque d’entreprise (GRE) n’est pas une destination traditionnelle. Lorsque Malika El Kacemi-Grande, FICA, a entrepris sa carrière en actuariat dans le cadre de fonctions traditionnelles en tarification dans le secteur des assurances IARD, elle n’aspirait pas à devenir chef de la gestion des risques (CGR). Mais son parcours l’a amenée à suivre une tendance (et une occasion) en croissance pour les actuaires à mettre leurs compétences au service de fonctions décisionnelles plus vastes au niveau opérationnel.
Aujourd’hui, en tant que CGR d’une société de réassurance spécialisée en assurances IARD, Malika incarne l’excellence actuarielle au cœur des enjeux contemporains de la gestion des risques. À la convergence de l’analyse quantitative, de la stratégie d’entreprise et du leadership décisionnel, elle illustre avec brio la valeur ajoutée des actuaires dans la gouvernance des institutions financières. Son parcours démontre bien comment la formation en actuariat peut mener à des fonctions en GRE, un domaine de plus en plus essentiel compte tenu du contexte marqué par l’instabilité climatique, les changements géopolitiques et la perturbation technologique.
Amener sa carrière au-delà du parcours actuariel traditionnel
L’intérêt que porte Malika à la GRE s’est manifesté dès les prémices de sa carrière, éveillé initialement lors de la préparation d’un examen actuariel. Cette inclination pour la discipline s’est renforcée lorsqu’elle a intégré le domaine de conseil où elle a eu l’opportunité de participer à un projet GRE.
C’est toutefois un moment charnière au sein de son organisation actuelle qui a véritablement ancré son engagement dans le domaine GRE. Son employeur avait l’intention d’ouvrir une succursale au Canada et Malika n’a pas perçu cette étape comme un exercice de gouvernance, mais bien comme une opportunité stratégique. Elle se disait que « c’était une occasion d’établir des bases solides en matière de gestion des risques pour soutenir la croissance et la réussite de la succursale. »
Cette expérience pratique, conjuguée à ses compétences en résolution de problèmes et à ses connaissances interfonctionnelles acquises dans le cadre de fonctions liées à la tarification, et à l’actuariat corporatif, l’a aidée à combler le fossé entre le travail d’actuariat et la gestion du risque d’entreprise.
Mettre l’esprit actuariel au service de la GRE
La GRE est axée sur la compréhension des interactions entre les différentes parties d’une organisation et la façon dont les risques se propagent d’un domaine à un autre. La formation actuarielle de Malika l’avantageait à cet égard vu l’accent que met la profession sur la résolution de problèmes et l’évaluation des risques.
Son expérience de collaboration avec divers services (de la souscription aux sinistres, en passant par les TI et les finances) s’est avérée essentielle pour concevoir des cadres de gestion des risques qui soient non seulement solides sur le plan technique, mais aussi pertinents sur le plan opérationnel. Elle a aussi pris l’initiative d’effectuer des recherches sur les démarches adoptées dans divers pays en matière de GRE pour s’assurer d’avoir une perspective large et approfondie.
Pour occuper le poste de CGR, il fallait toutefois davantage que des compétences techniques. La courbe d’apprentissage était prononcée et il lui a fallu poser des questions et chercher conseil auprès de spécialistes de la gestion des risques, actuaires et non-actuaires. Cette transition a aussi élargi ses horizons. Il fallait comprendre la stratégie d’affaires, planifier à long terme et harmoniser les décisions relatives aux risques à la vision et à la culture de l’organisation. Sa curiosité naturelle et son esprit d’entreprise l’ont aidée à se montrer à la hauteur du défi.
L’importance croissante de la GRE (en particulier pour les actuaires)
Dans le contexte d’aujourd’hui marqué par l’instabilité, la GRE n’est plus facultative, mais bien essentielle pour les organisations qui évoluent dans des paysages de risque complexes.
Cela est particulièrement le cas dans le domaine de l’assurance et de la réassurance, où les risques évoluent rapidement et les modèles traditionnels sont mis à rude épreuve.
Le risque lié au climat est l’un des domaines de changement les plus pressants. Pour Malika, il s’agit d’un défi croissant qui a une incidence directe sur sa fonction de CGR. Elle explique que « le risque climatique est un risque transversal qui affecte le cadre de gestion des risques dans son ensemble. Il nécessite des évaluations exhaustives qui prennent en compte les interdépendances qui existent dans la chaîne d’approvisionnement. »
Elle fait remarquer qu’en qualité d’actuaires, nous sommes aux premières loges pour observer la survenance croissante des événements météorologiques extrêmes. La fréquence des catastrophes que l’on considérait jadis comme des événements qui se produisent une fois par siècle est désormais bien plus élevée. La trousse d’outils actuarielle (qui comprend l’analyse de scénarios, la modélisation et les prévisions) est parfaitement adaptée pour aider les organisations à mieux comprendre ces changements.
Cependant, il n’y a pas que le changement climatique. Malika souligne que les actuaires doivent aussi prêter attention aux risques émergents que posent l’intelligence artificielle et l’instabilité géopolitique.
« Nous devons rester vigilants et être conscients des interdépendances possibles. Par exemple, la prolifération des centres de données d’IA pourrait avoir une incidence importante sur le risque climatique. »
Les raisons pour lesquelles les actuaires devraient envisager d’intégrer le domaine de la GRE
Si la pertinence des compétences actuarielles à l’égard de la GRE est manifeste, bon nombre d’actuaires considèrent toujours que les rôles de direction en la matière ne font pas naturellement partie de leur parcours. Malika remet cette hypothèse en question.
« J’ai choisi d’étudier les sciences actuarielles parce que j’aime résoudre des problèmes. Cette profession m’a permis de mettre mes compétences à profit de diverses façons, en sortant des sentiers battus et en explorant divers domaines pour élargir mes horizons. »
Son expérience en consultation et de collaboration avec divers services l’a préparée à adopter une pensée plus globale et à devenir une dirigeante stratégique.
De manière plus générale, les actuaires sont particulièrement compétents pour occuper le poste de CGR. Leur formation rigoureuse allie une expertise analytique approfondie, une compréhension solide du risque d’assurance et du risque financier, ainsi qu’un engagement fort à l’égard des normes de professionnalisme et d’éthique. Ces qualités placent les actuaires en excellente posture pour gérer les contextes de risque complexes d’aujourd’hui et de diriger avec perspicacité et intégrité. Son conseil aux autres actuaires?
« Vous ne pouvez maîtriser tous les sujets. Posez des questions et cherchez conseil auprès de spécialistes. Cultivez l’esprit du débutant et embarquez dans un parcours d’apprentissage à long terme. »
Préparer la profession à ratisser plus large
À mesure qu’évolue la profession actuarielle, Malika se dit convaincue que la clé de la réussite réside dans l’ouverture et la capacité d’adaptation. La profession ne peut former des actuaires pour chaque parcours non traditionnel, mais elle peut encourager l’exploration. « Il nous appartient de suivre nos passions, de relever de nouveaux défis et de mettre à profit nos connaissances et notre expertise en actuariat pour tracer de nouvelles voies en innovant. »
Elle estime aussi qu’il est de plus en plus nécessaire que les actuaires communiquent la valeur stratégique qu’ils apportent aux organisations. La GRE élargit notre perspective et permet aux personnes qui exercent la profession de reconnaître et d’aborder un vaste éventail de risques. Les actuaires qui sont en mesure de transformer leurs connaissances techniques en stratégies d’entreprise deviendront des acteurs inestimables dans la gestion des paysages de risque de l’avenir.
L’avenir tient compte des risques et est guidé par les actuaires
Malika est optimiste quant à l’avenir des actuaires dans le domaine de la GRE et dans des postes de direction liée aux risques d’entreprise.
« Les risques émergents représentent des défis complexes. Grâce à leur formation spécialisée en matière de résolution de problèmes et d’évaluation des risques, les actuaires occupent une position de choix pour appliquer leur expertise à l’ensemble du paysage des risques. »
Son propre parcours – d’analyste en tarification à CGR – démontre bien que les actuaires peuvent être des chefs de file au-delà des limites traditionnelles de la profession. Et à mesure que les risques deviendront plus systémiques et interconnectés, la demande pour ce type de leadership ne fera qu’augmenter.
Cet article reflète les opinions de l’interviewée et du collaborateur, et il ne représente pas une position officielle de l’ICA.