Les actuaires dans le secteur bancaire : combler les lacunes

Les actuaires sont en mesure de résoudre à peu près n’importe quel problème d’ordre financier. Ils possèdent de solides compétences leur permettant de disséquer tout système financier jusqu’à sa forme la plus fondamentale. Ils ont aussi la capacité de transposer les systèmes financiers en un ensemble de composantes de risque sans recourir à des méthodes prédéfinies et c’est ce qui fait leur force. Cette capacité à exploiter les principes actuariels de base tout en assurant la quantification mathématique et la gestion des risques n’est que l’un des nombreux atouts que présentent les actuaires pour le secteur bancaire.

Francis Truong, AICA, s’inscrit au programme de mathématiques actuarielles de l’Université du Québec à Montréal en 2010 pour une raison bien simple : il adore les mathématiques et s’est vite rendu compte (malgré les pressions exercées par sa famille) qu’il n’est pas fait pour la dentisterie. Sur les conseils de son conseiller en orientation au collégial, Francis entreprend le parcours qui allait le mener vers l’actuariat.

Trois ans plus tard, il obtient son diplôme en ayant une meilleure idée, toutefois incomplète, de ce qu’est le travail d’un actuaire. « Je comprenais les fonctions traditionnelles, mais le concept de pratique non traditionnelle était beaucoup plus nébuleux », raconte-t-il.

« Je savais que ces pratiques existaient, mais j’en avais eu peu d’exemples. Je me suis dit que les fonctions non traditionnelles étaient simplement un créneau ultraspécialisé de couverture d’assurance. Par exemple, la couverture des pertes lorsqu’un stade de basket-ball remet un prix d’un million de dollars à un spectateur qui réussit un lancer d’un bout à l’autre du court. »

Comme bien des jeunes actuaires, Francis a amorcé sa carrière en tant qu’analyste en régimes de retraite. Ce qu’il voulait vraiment faire, toutefois, c’était d’assurer la tarification des risques au sein d’une société d’assurance.

Cinq ans plus tard, après avoir travaillé aux côtés d’actuaires et d’autres professionnels, il franchit les étapes suivantes pour poursuivre son rêve de devenir un actuaire « non traditionnel », un parcours non sans difficulté.

Obstacles à l’entrée

« En 2015, j’ai vu un poste au sein d’une équipe de gestion du crédit à la Banque Laurentienne Groupe Financier. J’ai communiqué avec le gestionnaire d’embauche du service des ressources humaines. On m’a dit de réviser le cadre de Bâle, la répartition des risques de crédit et sur le langage SQL pour me préparer à l’entrevue. »

Il avait beau être assez avancé dans son parcours vers l’obtention du titre d’AICA/ASA, Francis se souvient toutefois de s’être senti complètement dépassé. Néanmoins, déterminé à poursuivre ses intérêts en matière de gestion des risques, il s’est dit qu’il pourrait établir des liens entre ses antécédents actuariels et les activités bancaires. Il s’est présenté à l’entrevue et il a décroché le poste!

Francis a beau être chanceux, et même si de plus en plus d’actuaires intègrent le secteur bancaire, les obstacles à l’entrée demeurent courants.

Renée Couture, FICA, se rappelle les difficultés auxquelles elle s’est butée pour intégrer le secteur financier. « Dans le cas de bien des emplois qui ne font pas partie des domaines de pratique traditionnelle, le diplôme en science actuarielle ne figure pas dans la qualification requise. J’ai donc dû me fier à mon jugement et postuler lorsque les offres d’emploi indiquaient “diplôme en administration ou l’équivalent”. »

Ce genre de situation limite l’accès des actuaires à des emplois dans des domaines émergents. « C’est important que les employeurs et les recruteurs soient sensibilisés à la valeur que peuvent apporter les actuaires, mais c’est aussi important que les actuaires disposent du soutien nécessaire pour se sentir confiants d’intégrer ces nouveaux domaines », indique Renée.

Mais si les actuaires excellent à analyser les risques, ils doivent aussi être prêts à en prendre. Renée, maintenant directrice générale chez ONE-T, se remémore avec humour la manière dont elle s’y est prise pour décrocher un emploi à Postes Canada. « Dans ma lettre de présentation, j’ai argumenté en faveur de l’embauche d’un actuaire. Les actuaires possèdent une mine de connaissances, et la moitié du travail consiste à le faire savoir aux employeurs potentiels. »

Faire le saut

Les histoires de Francis et de Renée ne sont que deux des nombreux exemples dans lesquels des actuaires ont fait le saut d’un domaine traditionnel à un domaine non traditionnel et utilisent leur expertise croisée pour élargir le rôle conventionnel des actuaires.

Francis, dont le travail touche l’IFRS 9, le cadre de Bâle et la gestion des données relatives aux créances irrécouvrables, applique désormais des concepts actuariels de façon non traditionnelle pour résoudre des problèmes d’ordre bancaire.

Il explique : « Dans les deux premiers cas, je me sers de mes compétences pour évaluer les risques de pertes associés aux produits en recourant à des composantes actuarielles pour décomposer les divers facteurs de risque. Dans le dernier cas, j’ai approfondi mes connaissances en matière de gestion des données aux fins de la modélisation en appliquant les mêmes méthodes que l’on utilise dans le cadre des exercices d’évaluation actuarielle pour améliorer la collecte de données relatives aux défauts. »

La transférabilité des compétences actuarielles dans le secteur bancaire est indéniable. Toutefois, pour assurer une transition sans heurts, il ne suffit pas toujours de transposer dans le domaine bancaire des idées techniques du domaine des assurances.

« C’est important que les employeurs et les recruteurs soient sensibilisés à la valeur que peuvent apporter les actuaires, mais c’est aussi important que les actuaires disposent du soutien nécessaire pour se sentir confiants d’intégrer ces nouveaux domaines »

Renée Couture, FICA

Se tailler une place

Compte tenu de la menace qui pèse de plus en plus sur les modèles bancaires traditionnels, l’expertise actuarielle est de plus en plus demandée. Les actuaires doivent savoir tirer profit de leurs connaissances et de leurs compétences. Ceux qui travaillent déjà dans le domaine bancaire peuvent y contribuer en soulignant les recoupements qui existent entre les concepts fondamentaux bancaires et actuariels. Bon nombre d’actuaires possèdent le savoir-faire analytique nécessaire pour réussir dans le secteur bancaire. C’est au chapitre du soutien et de la sensibilisation du public qu’il y a des lacunes.

À mesure qu’évolue la nature du travail actuariel, Francis rappelle à ses pairs de tenir leurs compétences à jour. « Vous travaillerez bientôt avec des professionnels du domaine financiers issus de divers horizons. Apprenez d’eux, mais surtout, assurez-vous qu’ils apprennent de vous. »